Le temps dans l'image

Sommaire

• L'atemporalité de l'image fixe en question ?
• Pause et pose
• Pose, représentation et histoire
• Un empilement d'histoires
    - histoire du représenté
    - histoire de la représentation
    - histoire des usages culturels, des idéologies...
    - histoire de "l'objet-photographie" lui-même
    - Exemple 1
    - Exemple 2
• Les différentes temporalités
    - le moment de l’événement
    - le moment de la prise de vue
    - le temps de pose
    - Le moment de la diffusion
    - le moment et le temps de la réception
    - le temps de l’archivage, de la mémoire
• Articles complémentaires

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L' atemporalité de l'image en question ?

L'image n'a presque pas besoin de temps pour apparaître sur notre rétine et sa perception est globale.
Le son, au contraire, ne peut exister que dans le déroulé continu du temps.

Il n'y a pas de pause sur le son, ou plutôt la "pause sur le son" est une absence, un vide, tandis que la "pause sur image" peut durer indéfiniment qu'elle soit à partir d'un appareil ou simplement du fait de notre regard.


• Perception visuelle - perception auditive


Système visuel

6 à 7 millions de cônes ; 120 à 125 millions de bâtonnets dont à la périphérie, 10 000 se concentrent sur une seule fibre.

3 niveaux de neurones avant le nerf visuel.
Nerf visuel : 800 000 fibres.
Rapport cellules/canal : environ 150

200 000 apports simultanés. Il y a, dès le départ de la rétine, organisation, analyse et intégration des stimuli sur 3 plans (forme, couleur, texture).


Les mécanismes de ce système permettent d'accentuer les égalités de stimulation (similitudes) et les inégalités (contrastes).
Reproduction analogique de l’image sur la rétine.

Principalement --> espace
Secondairement --> temps

Seuil temporel ("Temps visuel") ≈ 30 à 40 ms
(écart où l'on perçoit la succession de 2 images).
Système auditif

23 500 cellules ciliées (qui constituent l'organe de Corti) dont 20000 cellules externes et 3500 cellules internes.

1 seul niveau de neurones avant le nerf auditif.
Nerf auditif : 30 000 fibres.
Rapport cellules/canal : environ 1

Transmission simultanée d’un millier de qualités tonales différentes avec variation d'intensité de chacune d'elles de 20 par seconde, soit, pour une oreille, 20000 par seconde.

Perception analogique (tympan...) puis transduction logique par décomposition en fréquences fondamentales (type séries de Fourrier).

Principalement --> temps
Secondairement --> espace

Seuil temporel ("Temps auditif") ≈ 2 ms
(écart mini entre deux sons perçus).

Le seuil temporel de 40 ms correspond à 25 images pour une seconde (c'est la fréquence d'image retenue dans les systèmes vidéo), le cinéma utilisant lui, une fréquence de 24 i/s.

Le seuil temporel correspond à la persistance rétinienne qui fait que nous percevons encore l'image 30 à 40 ms après la disparition du stimulus. Sans cette particularité de notre vision, nous percevrions un écran noir entre deux images de cinéma successives d'une durée de 41 ms.

Mais attention, une confusion fréquente attribue à la persistance rétinienne la perception du mouvement. Contrairement aux idées dominantes dans les milieux cinéphiliques et chez les enseignants d'audiovisuel, la persistance rétinienne n'explique en rien la perception du mouvement. Ce qui persiste surtout, c'est cette théorie simplificatrice.

Pour de plus amples informations sur ce point, voir le texte-résumé de Philippe Girard ci-joint

L'image a donc un rapport privilégié avec l'espace et le son un rapport direct avec le temps.

Mais de là, restreindre l'image à sa seule dimension spatiale et le son à sa seule dimension temporelle, est une simplification qui traverse l'histoire et le présent de l'audiovisuel et qui réduit considérablement les interprétations.

En particulier, les analyses de l'image basées sur les seuls éléments spatio-visuels perceptibles qu'elle contient, en négligeant les temporalités font l'impasse sur le contexte et l'histoire. La recherche du sens détaché de la vie même de l'image, de sa trajectoire, de son passé, des moments déterminants qui l'ont fait exister est la critique principale que nous pouvons faire en particulier aux approches "immanentistes".

Pause et pose

La pause est un arrêt temporaire d'une activité, d'un processus, d'un discours. En musique, la pause est un silence de la durée d'une ronde.

Dans le visionnement d'un film la pause est un arrêt temporaire sur son déroulement normal. Avec le cinéma classique cette pause n'est possible que sur les tables de montage car l'intensité de la chaleur des lampes de projecteurs grille la pellicule en cas d'arrêt dans son déroulement.

Avec les appareils électroniques (magnétoscope, lecteurs de DVD, ordinateurs...) cette impossibilité n'existe plus et la pause est devenue une pratique courante. L'"arrêt sur image" rendu possible par l'évolution des technologies a modifié considérablement les conditions de réception des films et par conséquent leur réalisation. Elle a ouvert, par ailleurs, des possibilités nouvelles pour l'étude et l'enseignement du cinéma. Sans "arrêt sur image", l'analyse de films serait aujourd'hui bien démunie. Ce qui peut sembler paradoxal dans la mesure où les bases de la sémiologie du cinéma ont été élaborées alors que cette possibilité n'existait pas.

La pose se rapporte à une attitude, une manière de se tenir, de mettre en place. Le mot pose a une origine commune avec position ou poser.

En photographie, la pose correspond au temps d'exposition nécessaire pour impressionner la couche sensible qui capte l'image. Par le passé le temps de pose était très long, et la réduction du temps de pose aura été une démarche continue de l'évolution des appareils de prise de vue.

Ce temps de pose nécessaire dans la photographie chimique obligeait les sujets photographiés à suspendre momentanément leurs mouvements et gestes au risque d'être flous.

La pose imposait la pause. D'où sans doute la confusion souvent rencontrée entre ces deux termes.

Une confusion provoquée par le hasard pour cette photographie de Louis Daguerre qui a fait correspondre la pause du passant arrêté devant un cireur de chaussure avec la pose du temps nécessaire à l'impressionnement de la plaque photographique

(Cliquer sur l'image pour voir en détail le personnage présent dans la photographie.)

(Boulevard du temple - Photo de Louis Daguerre 1837 ou 1838).

Note : cette photographie est souvent présentée inversée gauche/droite. Sur l'image en grand format, (ci-jointe -->) on peut vaguement distinguer en zoomant sur le panneau publicitaire situé sur un des immeubles à droite et à la quatrième ligne : "104 rue du Bac".

L'augmentation de la sensibilité des capteurs électroniques a réduit le temps de pose au point que, dans les usages courants de la pratique photographique, cette durée d'exposition n'est plus aujourd'hui un sujet de préoccupation.

Le temps de pose devenu négligeable n'impose plus la pause.

Cependant la pratique de la photographie a ancré dans notre culture la pose comme un point central de la représentation. Consciemment ou non les personnes photographiées adoptent une attitude, une posture, une expression, une image en lien avec le moment et le contexte, même si celles-ci se veulent détachées voire même en rupture. (Exception faite bien sûr des photographies prises à l'insu des personnes)

Pose, représentation et histoire

Si la pause a un rapport direct avec le temps, la pose présente donc une double dimension : à la fois temporelle qui correspond au temps de captation, mais aussi spatiale par la disposition et les postures des objets et des personnages représentés. Avec les pratiques et les usages culturels de la photographie, des attitudes, des postures prennent forme, se sédimentarisent, disparaissent, réapparaissent.

Ainsi, les poses en photographie ou au cinéma ne sont pas des mouvements arrêtés mais des formes esthétiques réglées et conventionnelles.

Quant à l’histoire que la photographie peut contenir, elle est ce que notre propre regard spectatoriel construit. Cette construction s'appuie à la fois sur ce que notre propre culture visuelle a sédimentarisé et sur le contexte dans lequel notre regard nous fait interpréter l’image présente. Mais cette histoire qui guide notre regard est souvent inconsciente, enfouie dans notre culture, nos affects et nos propres rapports au monde.

Le quotidien nous fait oublier le passé. Le quotidien est à la fois source et effacement continu de l'histoire.
Sans histoire pas de pouvoir, pas d’emprise sur le monde sur l’art la culture...

L'instantanéité est une dépossession du pouvoir. Paradoxe de la photographie ou dialectique qui la situe toujours entre le temps presque insaisissable de l'éphémère et la mémoire sans fin de l'histoire.

Un empilement d'histoires

Différents types et niveaux d'histoires peuvent être évoqués pour interpréter une photographie. Même si celles-ci sont intimement mêlées, voire confondues dans la réception nous distinguerons, pour les besoins de la cause, quatre histoires particulières dans l'image :

• Histoire du représenté

C'est l'histoire des choses et des personnages apparents dans l'image, mais aussi l'histoire des faits, des événements. C'est l'histoire qui a quelque chose à voir avec l'histoire "tout court" ou l'Histoire (avec un grand H) pour peu que cette histoire soit partagée par un grand nombre de nos semblables. C'est cette histoire qui paraît et apparaît comme la plus évidente. L'image, par sa dimension indicielle, nous met en rapport directement avec un réel passé et tend à nous faire oublier les autres dimensions et autres histoires qu'elle contient.

• Histoire de la représentation

C'est l'histoire qui a quelque chose à voir avec la production, les techniques, les auteurs. Dans cette histoire de la représentation interviennent les outils, les usages, les styles et les formes propres à une époque, une technique, une mode... Il y a, ici encore, un rapport dialectique entre les outils et les formes de la représentation. C'est tout autant les outils qui produisent de nouvelles formes expressives que l'évolution de l'expression qui appelle de nouveaux outils. Par exemple, les nouveaux logiciels de retouche de la photographie sont à la fois une possibilité nouvelle offerte par les techniques informatiques, mais ils sont également suscité par un usage de plus en plus individualisé des techniques photographiques et de leur marché.

Ce deuxième niveau d'histoire est plus ou moins saillant. Si certains aspects historiques sont assez connus comme par exemple les origines de la photo, du cinéma, de la télévision, de l'image numérique, d'autres en revanche sont moins connus et supposent une certaine connaissance de l'histoire des techniques et des représentations, comme par exemple les temps de pose, les formats, les différences et leurs évolutions entre les outils professionnels et grand-public, etc.

• Histoire des usages culturels, des idéologies...

C'est l'histoire d'une pensée sur les usages, sur la culture... une histoire qui a quelque chose à voir avec l'idéologie du moment, la culture dans laquelle la photographie émerge, se positionne, et est sensée être regardée... Une photographie prise il y a un siècle correspondait aux usages et regards attendus à cette époque. Elle se situait dans l'idéologie et la culture du début de XX siècle et personne ne pouvait imaginer alors quel type de regard nous porterions sur cette photographie dans l'environnement idéologique et culturel d'aujourd'hui.

• Histoire de “l'objet-photographie" lui-même

C'est l'histoire de l'appropriation, de la conservation, de la transmission de la photo elle-même. Entre photographies professionnelles, et photographies personnelles, entre agence photographique et boite à chaussure, entre la grande histoire collective et la petite histoire individuelle, entre la photo encadrée et celle virtuelle sur un disque dur... l'histoire d'une photo c'est aussi l'histoire de son cheminement, de son oubli, de sa réemergence, de son nouvel usage et... de son nouvel oubli. Certaines photos nous semblent aujourd'hui appartenir à tout jamais au patrimoine commun de l'humanité, pour des milliards d'autres, plus individuelles, il est difficile d'imaginer ce qu'elles deviendront, ni même si un jour un regard se posera à nouveau sur elles. La conservation, c'est peut être cet espoir ou ce désespoir qui nous relie à un futur inconnu et qu'on ne verra pas, une hypothétique promesse de lien.

• Exemple 1 : histoires d’une photo

Sur les personnes représentées :
Un couple avec ses deux filles, tous les quatre en tenues endimanchées.

La photo ne nous dit rien sur les identités, les lieux... C'est un savoir extérieur, ici transmis et écrit, qui nous permet de dire qu'il s'agit de la famille Despreaux : Jean, Marthe et leurs deux filles Marcelle et Thérèse, une famille de mineur dans la Loire. Pour la date : le style d'habits, les coiffures... nous renseignent très vaguement sur l'antériorité. C'est la connaissance des dates de naissances des représentés qui nous situent la photo plus précisément aux alentours de 1923.

Sur la représentation :
En l'absence de date connue, le style de représentation nous donne ici aussi une vague idée de l'époque.

C'est une photo prise en pose. La sensibilité des films et l'éclairage ne permettaient pas de fixer des instantanés. Il s'agit évidement ici, d'une reproduction de cette photographie. L'original à une taille d'environ 18 cm de haut, elle est en noir & blanc avec une dominante très légèrement sépia. (La photographie couleur existait déjà - autochromes - mais son usage commercial n'était pas répandu.) Les ombres des pieds des meubles nous indiquent plusieurs sources de lumières. En revanche aucune ombre des personnages eux-mêmes sur les murs ou sur le sol. Ce qui suppose une construction élaborée de l'éclairage et peut être quelques retouches sur le négatif. La qualité des détails est exceptionnelle et très mal rendue ici. Le visage de la cadette y apparaît très légèrement flou, un léger bougé de sa part donc.

C'est une photo faite en studio. Les impératifs techniques et surtout économiques (mais aussi culturels) ne permettaient pas les déplacements sur les lieux personnels. D'où la construction d'un décor passe-partout plus ou moins ajustable à partir des objets présents. Le décor, la disposition sont choisis par le photographe. La chaise et la table n’appartiennent pas à la famille.

C'est une photo unique, tirée à quelques exemplaires seulement destinés aux proches ; Pas d’exposition en dehors du regard familial ; Conservée en boite ou dans un tiroir, comme mémoire d’un moment donné d’une vie. Le négatif photo n'était pas remis et il est sans doute disparu à tout jamais, comme le nom de l'auteur de cette photographie.

Sur “l’idéologie” du portrait à l’époque de cette photographie :
Auparavant, en peinture, le portrait n’était accessible qu’aux riches familles bourgeoises. Le développement des techniques photographiques a permis une certaine démocratisation du portrait. Celui-ci pendant longtemps cherchera à donner une image conforme aux codes de représentation en vigueur, quitte à ce que les personnages jouent une posture sociale, qui, comme ici, ne correspond pas à celle de leurs habitudes et à celle de leur classe sociale.

Le père est assis, il lit un journal. La mère et les filles sont debout et regardent l'objectif. Les filles encadrent la mère, qui elle a une main protectrice posée sur l'épaule de l'ainée. Les filles sont en habits blancs, comme le chemisier de la mère. Blanc couleur de la propreté, à l'image d'une maison bien tenue, blanc symbole de pureté, ce sont des jeunes filles. Les expressions faciales sont douces, les visages sont sans sourires mais détendus, l'expression d'une grande probité.

Le père est en costume sombre, la couleur du sérieux et de l'ordre social. Le costume noir était celui des hommes politiques, des hommes d'affaire, des pasteurs, prêtres, des avocats, etc. Le père est bien installé, stable. Par sa posture et la direction de son regard posé sur le journal il s'intéresse d'abord à la grande histoire du monde.

Les mains sont plus difficiles à mettre en scène surtout pour une famille de travailleurs manuels. Il s'agit de ne pas révéler ni non plus de trahir cette fonction sociale première d'appartenance à un milieu. Les deux mains de la fille ainée, celle de droite de la mère et celle de gauche de la cadette sont cachées. La main gauche de la mère et les deux mains du père semblent naturellement positionnées. La position de la main droite de la cadette sur la table semble en revanche bien moins naturelle.

Globalement on a donc l'image très forte d'une famille "bien sous tout rapport" avec sa hiérarchie paternelle rassurante, et maternelle en charge de la bonne éducation des filles.

Sur l'histoire de cette photographie :
Une histoire banale comme des millions d'autres dans ce genre. Ici, c'est une photo de famille qui a transité de boite en boite au fur et à mesure du décès de ses détenteurs.

• Exemple 2 : histoires d'autres photos

Presque un siècle plus tard, quelques photos extraites d’un blog d’une lycéenne montrant ses amis dans un lycée aux USA. (Cette lycéenne est une des arrière-arrière-petite-filles des parents représentés dans la photo précédente)


Sur les personnes représentées :
Comme précédemment, rien dans les photographies nous indique les identités, les lieux... C'est le contexte de leur présentation qui nous renseigne sur les personnes représentées, la date, etc. En l'occurrence, c'est la page d'un blog tenu par Salomé que l'on suppose être la photographe et qui nous fait partager les portraits de ses amis du lycée où elle est dans le Colorado en 2010.

Sur la représentation :
Ce sont des photos réalisées en situation réelle, en apparence sans mise en scène spécifique, conformes en cela à ce que permettent les appareils de prise de vue aujourd'hui par leur miniaturisation et leur sensibilité. Elles sont en couleur avec un éclairage naturel. Si le moment de la prise de vue est improvisé, la pose est spontanément construite non par le photographe comme précédemment mais par les sujets photographiés qui interagissent avec le regard de celui qui va les photographier.

La fraction de temps suspendu n'est donc pas imposée par la technique, mais par la volonté des protagonistes de maîtriser un court instant leur expressivité. Un peu de pouvoir repris sur le photographe qui lui maîtrise l'instant du déclenchement.

Sur les formes culturelles de l'image des jeunes :
C'est l'usage de ces photographies qui nous semble ici avoir déterminé les postures adoptées. Photos souvenirs, publiées sur le web, vues essentiellement par la famille et les amis, mais pas seulement. Il s'agit de donner une image rassurante et gaie. On ne s'ennuie pas, on n'est pas triste, on s'amuse, on est en bonne camaraderie, etc.

Les photos ne traduisent en rien les différentes personnalités, ni ne nous renseignent pas sur ce qu'il pourrait y avoir de plus intime chez chacun. Les habits, les lieux, les objets ne sont pas socialement discriminants. En revanche nous avons ici, toute une gamme de signes qui “signent” moins l'appartenance à un milieu social caractéristique qu'une tranche d'âge.

Bouche ouverte, langue souvent tirée, les doigts croisés ou en V... Ce sont des formes expressives stéréotypées, consciemment posées ou pas, et que l'on retrouve un peu partout indifféremment des milieux d'origine.

Faut-il voir dans ces signes buccaux explicites une relation avec une sexualité ascendante ou une forme de dissimulation derrière une expression qui ne dévoile en rien sa personnalité, un masque ou est-ce un moyen d'indifférenciation par une construction d'une image à l'image des autres, universelle, ou le prolongement amplifié du "cheese" d'autrefois ?

Sur l'histoire de ces photographies :
C'est une sélection représentative des portraits déposés en grand nombre sur le blog de la photographe. Ce sont des photos non retravaillées, chargées directement depuis l'appareil photo, sans séléction apparente. Photos accessibles et reproductibles par qui veut bien. Le devenir de ces photographies est diffficilement envisageable aujourd'hui. Si elles sont encore sur le net comme des milliards d'autres, qu'en sera-t-il dans 20 ans ou dans un siècle ?

Les différentes temporalités

Les différentes temporalités qui nous semblent à l'œuvre dans la photographie ne sont évidemment pas dissociables dans la pratique courante de notre regard sur une image.

Ces temps, ces moments, ces durées ne sont résumés ici que pour faire prendre conscience de leur importance dans les significations qu'une image produit.

L'anonymité et l'atemporalité des images qui prédominent dans beaucoup de médias aujourd'hui et d'internet en particulier, nous coupent de cet ancrage pourtant si important à la construction de notre regard.

• Le moment de l’événement

C'est le temps du réel, de l'histoire.
Ce temps est plus ou moins perceptible dans la photographie.
On peut par exemple, reconnaitre une saison par la végétation, une date par les événements représentés ou l'âge d'un personnage connu présent dans l'image...

Ce moment peut être appréhendé par les formes de la représentation, les styles ou les techniques utilisées ; un autochrome, par exemple, nous situe dans le premier quart du 20 ème siècle ; une petite photo de format carré avec une marge blanche et un contour cranté nous situe dans les années 50/60, etc.

• Le moment de la prise de vue

C'est le temps qui régit la rencontre entre un auteur et le sujet photographié. C'est un moment déterminant comme pour les photos d'actualité ou pour "l'instant décisif" cher à Cartier-Bresson, l'intuition d'un regard qui transforme une fraction de seconde en un temps infini.

C'est un temps qui peut être totalement maitrisé lors d'un travail en studio par exemple ou, au contraire, soumis aux aléas de l'événement comme dans le reportage. Il peut être aussi indéterminé comme dans l'errance d'un regard sur des paysages.

• Le temps de pose

Nous l'avons vu c'est le temps nécessaire pour impressionner la surface sensible de l'appareil de prise de vue. Avec la sensibilité élevée des capteurs numériques d'aujourd'hui, ce temps est devenu presque négligeable dans la pratique "ordinaire" de la photographie. Mais il n'en a pas toujours été ainsi et les anciennes photographies gardent la marque d'un temps de pose plus ou moins long, qui a profondément joué sur l'esthétique de ces photographies. De part ses exigences temporelles, la pose est devenue forme. Imposées par la technique à ses origines, certaines formes guident bien souvent encore des postures d'aujourd'hui.

La technique d'une pose longue est parfois utilisée aujourd'hui dans des situations en faible lumière pour avoir une grande netteté ou encore pour réaliser des photos comportant à la fois des zones floues et des zones nettes.

• Le moment de la diffusion

C'est le moment où la photographie est mise à la disposition de son public potentiel. Cette mise à disposition peut être faite rapidement ou non par l'auteur lui-même ou dans un temps différé plus ou moins long par un intermédiaire ou un média : agence, galeriste, journal... C'est un moment qui se situe sur une plage très grande qui va du moment de la prise de vue à maintenant. Ainsi la photographie de famille présentée un peu plus haut vous était totalement inconnue avant que je ne l'inclue dans cette page.
C'est un moment rarement pris en considération, car il est généralement moins déterminant que le moment de la prise de vue mais qui n'en est pas moins porteur de sens. Pourquoi telle photo est diffusée dans l'instant, tandis que d'autres apparaissent ou réapparaissent bien après leur création. Le temps qui sépare la prise de vue de sa diffusion est un temps propre à l'auteur ou a un médiateur, un temps de ressassement, d'affinement, de sélection.

• Le moment et le temps de la réception

C'est la rencontre indirecte entre un auteur et son spectateur. Moi spectateur, je regarde ce que le regard d'un autre a fixé. Lorsque je regarde une photographie ce n'est pas du réel que je vois, mais ce que le regard d'un individu sur un aspect du réel a choisi de me montrer et a mis en forme.

Le contexte dans lequel se déroule notre regard détermine le moment et le temps de la rencontre. Entre une exposition, une photographie dans un journal ou un livre, sur un panneau publicitaire, dans un album de famille ou sur Picasa... notre rapport à l'image est bien sûr différent. Même si chacune de nos expériences visuelles interférent entre elles pour reconstruire sans cesse notre regard, celui-ci reste tributaire de l'instant et de la durée de cette rencontre.

• Le temps de l’archivage, de la mémoire

C'est le contrepoint de l'éphémère. L'instant volé transformé en promesse d'éternité.

C'est la photo comme souvenir, une démarche majeure dans les pratiques amateurs : naissance, mariage, fêtes, vacances, voyages...

C'est la photographie inventaire comme le travail de Dorothea Lange aux USA dans les années 30 pour la Farm Security Administration, ou plus récemment en France et en Europe avec les inventaires des paysages.

L'histoire (la grande) s'enrichie des photographies du passé, des films et des images en général. Ce qui pose problème aujourd'hui c'est une écriture et une réécriture de cette histoire en fonction des objets visuels dont on dispose, c'est aussi le mélange des genres : images anciennes avec des images actuelles, images fictives d'aujourd'hui avec des images anciennes, images anciennes retouchées avec des images d'actualité, etc.

Si certaines images d'archive deviennent simple matériau de construction des récits visuels d'aujourd'hui, c'est au prix de la décontextualisation de leurs temporalités d'origines. On touche alors aux questions de sens, d'éthique et souvent d'idéologie par une dépossession de l'histoire. Sans histoire pas de pouvoir même pour une simple photographie.










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