Schématisation de la communication audiovisuelle

Limites des principaux modèles linéaires

• Le modèle cybernéticien de Shannon et Weaver

La représentation qui est sans doute la plus vulgarisée aujourd'hui, provient des premières définitions de la communication, elles-mêmes issues de la Théorie mathématique de la communication de Claude Shannon et Warren Weaver parue en 1949 (1). Ces définitions seront par la suite précisées et aboutiront à ce que l'on a coutume d'appeler le schéma canonique de la communication. C'est le schéma Emetteur-Canal-Récepteur.

Utilisé à tous propos (2), nous pensons que ce schéma a conduit, et continue de mener, à des simplifications du processus de communication qui, loin d’être opérantes, nous semblent, au contraire, profondément réductrices, même si, pour répondre aux reproches faits par les psychosociologues de ne pas tenir compte de l’interaction exercée par le récepteur, la notion de rétroaction (feedback) y fut introduite.

Ce que nous pouvons reprocher au modèle issu de la pensée cybernéticienne, tient pour une part à la non prise en compte du contenu sémantique des messages et des interactions entre les différents pôles de la communication avec l’environnement socio-économico-culturel. Mais la critique principale que nous en ferons, porte sur la notion de bruit, envisagée sous l’aspect de la déperdition d’un contenu.

Philippe Breton a montré comment cette notion constituait une philosophie de substitution aux idéologies traditionnelles (église, armée, communisme, capitalisme, fascisme) alors considérées comme fauteuses de division, de conflit, de désordre. Dans cette utopie d’un «ordre communicationnel», tout pourrait s’interpréter en termes de communication et d’information. L’être tout entier serait constitué d’informations, «sans reste». Dès lors, l’ennemi abstrait et symbolique de l’idéal cybernéticien serait le bruit source de désordre (d'"entropie") et la clé de voûte de la communication moderne passerait par la suppression de l’intériorité dans les représentations de l’homme. (3)

Cette notion de bruit, même si elle n’est pas toujours explicitée, est omniprésente aujourd’hui dans les technologies infographiques et multimédia. Elle traverse pour une large part également la communication audiovisuelle et bon nombre de nouvelles formes de représentation se fondent implicitement sur cette recherche d’une communication sans altérité.

Par ailleurs, un simple raisonnement logique nous montre que ce schéma, en plus de sa linéarité, est fondamentalement hiérarchique puisque la notion de bruit ne peut être qualifiée que du seul point de vue de l’émetteur.

Comment, en effet, et surtout qui (?) peut apprécier ce qu’est une perte dans un processus de communication ?

Si c’est un observateur extérieur qui analyse la réception d’un message, il est dans ce cas là, en position lui-même de récepteur ; il n’est donc pas en mesure d’évaluer ce qu’il n’aurait pas reçu ou ce qu’un autre aurait perçu. Si cet observateur cherche à savoir ce qu’un autre récepteur a reçu, il se trouve dans ce deuxième cas, dans une position de réception de second niveau et ne peut donc pas, à plus forte raison, apprécier ce qui dans la communication se serait perdu. S’il s'agit d’un observateur interne au processus de communication, ce ne peut être, pour les mêmes raisons que nous venons d’évoquer, que l’émetteur lui-même.

Quant aux boucles de rétroaction introduites ultérieurement, elles ne changent pas ce rôle dominant de l’émetteur, elles ne font au contraire que le renforcer dans la mesure où elles situent alternativement l’émetteur dans des positions d’émission et d’évaluation.

Cet aspect directif et hiérarchique du modèle n’est pas un moindre paradoxe puisque l’idéologie des fondateurs du modèle cybernétique se voulait profondément égalitariste, voire anarchisante.


• Le modèle de Laswell

Harold D. Lasswell (1948) avec sa formule elle aussi restée célèbre des 5 W (Who say, What to, Whom in, Which channel, with What effect) : « Qui, dit quoi, par quel canal, à qui, avec quels effets » a eu le mérite de poser le premier la question du contenu et surtout des effets de la communication. Dotant la sociologie fonctionnaliste des médias d’un cadre structurel, cette formulation permit aussi le découpage institutionnel des secteurs de recherche et surtout elle posa les bases du contrôle des effets de la communication. Ce qui a fait dire au sociologue canadien, Paul Attallah (4) que le fonctionnalisme consiste à contribuer au contrôle social tout en prétendant contribuer à la liberté individuelle.


• Le modèle linguistique de Jakobson

Vers 1960, le linguiste Roman Jakobson a proposé un schéma (lui aussi largement répandu dans les milieux éducatifs, mais à un degré moindre toutefois que celui de Shannon et Weaver, qui définit six fonctions : quatre entre le destinateur et le destinataire (référentielle, phatique, métalinguistique, poétique) et deux propres au destinateur (expressive) et au destinataire (conative).

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(1) SHANNON Claude, WIEVER Warren, La théorie mathématique de la communication, Paris, CEPL, 1975 pour l'édition française.
(2) En particulier dans le milieu enseignant ainsi que parmi les professionnels de la communication.
(3) BRETON Philippe, L'utopie de la communication, Paris, La découverte, 1992.
(4) ATTALLAH Paul, Théorie de la communication, histoire, contexte, pouvoir, Montréal, Presses Universitaires du Québec, réed. : 2000.

Un modèle spécifique

La construction d'un modèle spécifique nous est apparue indispensable pour répondre aux principaux aspects qui nous semblent caractériser la situation actuelle :

C'est tout d'abord l'envahissante et insidieuse emprise des approches qui se situent dans la mouvance du fonctionnalisme, notamment depuis le développement des nouveaux médias informatiques. Fondées sur l'empirisme, nous leur reprochons surtout de consacrer l'offre et la demande (le marché) comme mode de penser la communication.

C'est ensuite la domination croissante d'une certaine idéologie de la communication, caractérisée par la recherche d'un "tout communicant" transparent et universel (voir encadré ci-dessus).

C'est enfin la nécessité d'en finir avec le modèle linéaire du petit télégraphiste, modèle causal supposé apte à épurer les "scories" que la communication entre humains ne manquerait pas de produire, modèle omniprésent dans les formations à la communication.

A l'opposé d'une description linéaire et mécaniste du phénomène, nous proposons une démarche pour traiter de sa complexité, et montrer que rien, dans la communication, n'est jamais joué, déterminé, fini... que causes et effets ne sont pas obligatoirement saillants et encore moins mesurables et qu'il convient davantage de mettre à jour les actes et acteurs en présence à travers les relations qui les font co-exister.

Enfin, prendre en compte les relations dialectiques qui s'établissent entre les différents pôles de la communication, c'est non seulement le moyen de faire ressortir les aspects contradictoires, mais c'est surtout une façon de s'intéresser plus particulièrement aux frontières des phénomènes, ces entre-deux d'où peuvent émerger de nouvelles dynamiques. Pas de savoir fini donc, pas de domaine définitivement clos, mais une approche ouvrant sur ce qui peut advenir.




A travers la schématisation proposée, il ne s'agit pas tant de représenter le phénomène en lui-même que de situer les problématiques et de faire ressortir les enjeux plutôt que le processus.

• Dans un premier temps nous évoquerons les trois entités bien concrètes que sont : l'auteur, l'objet audiovisuel et le spectateur et qui constituent les trois pôles de base de toute communication audiovisuelle.

• Puis nous traiterons des trois principaux champs qui interfèrent avec la triade de base et que nous appelons champs d'nterférence (techniques, langages, représentations).

• Nous aborderons ensuite succinctement la question des contextes dans lesquels situer chacun des trois pôles et nous éoquerons les trois dérives le plus fréquemment rencontrées.

• Nous terminerons en évoquant les variantes possibles à cette schématisation.

Les trois pôles de base

Ils sont constitués par les trois entités concrètes que sont : l'auteur, l'image et le spectateur.

Si nous retrouvons, dans cette triade de base, quelque chose de comparable au schéma canonique de la communication, la différence essentielle que nous voulons introduire tient à la volonté de ne pas réduire le phénomène à quelque chose de linéaire (et prédéterminé dans le cheminement d'un pseudo "message") mais au contraire à prendre en compte les multiples relations complexes qui s'établissent entre ces trois pôles.

Une représentation sous forme de triangle nous semble une différence essentielle, dans la mesure où nous pouvons ainsi faire ressortir une liaison entre auteur et spectateur nous permettant de signifier qu'il existe entre ces deux pôles des relations qui ne passent pas obligatoirement par le "message".

Par ailleurs les mots utilisés pour nommer chacun de ces trois pôles s'avèrent être un autre élément important de différenciation. Emetteur, message, récepteur voilà des mots par trop liés au modèle télégraphiste dont ils sont issus.

Il n’existe malheureusement pas de termes ayant un caractère suffisamment général pour les remplacer dans toutes les situations. C’est pourquoi les appellations proposées ici ne le sont qu’à titre explicatif.

Selon les situations il conviendra donc d'utiliser les termes les mieux appropriés

(Par exemple, pour un film de cinéma vu en salle, il sera infiniment plus pertinent de parler de la triade : réalisateur-film-spectateur.) Cette remarque est d’autant plus valable en pédagogie dans la mesure où au delà des mots ce sont surtout les représentations qui y sont rattachées qu’il convient de mettre à jour. Examinons plus précisément ce que chacun de ces trois pôles recouvre.

• Le pôle auteur

Autres termes possibles : énonciateur, réalisateur, photographe, présentateur, émetteur, instance énonciatrice...

Nous aurions pu tout aussi bien utiliser le terme d'énonciateur. Si nous avons choisi de parler d'auteur c’est parce qu’il nous semble que ce terme renvoie davantage à un individu considéré dans sa personnalité toute entière et qu’il est toujours utile de souligner que derrière chaque image ou chaque récit audiovisuel il y a toujours de la subjectivité. Le terme d’auteur doit malgré cela être entendu au sens large. Un auteur ce n’est pas seulement celui qui est à l’origine de l’énoncé, qui réalise matériellement le message ou qui produit du contenu, c’est aussi celui qui manie un langage, des représentations, de l’idéologie...

Le terme d’énonciateur pourra être utilisé lorsque cette fonction est assurée par plusieurs individus (comme pour une émission télévisée) on pourra même parler à ce propos d’instance énonciatrice.

Nb : dans les variantes de représentation nous ferons une distinction entre auteur et producteur.

• Le pôle image

Autres termes possibles : œuvre, énoncé audiovisuel, récit audiovisuel, produit audiovisuel, film, vidéo, magazine, émission, documentaire, photographie...

Si, pour simplifier l’écriture, nous avons retenu le mot image, celui-ci doit être entendu comme désignant un produit audiovisuel contenant au moins une image. Bien entendu les autres matériaux propres à la construction audiovisuelle sont concernés par cette appellation (1).

Il s’agit en fait, et les différents termes proposés vont dans ce sens, de désigner l’objet qui s’interpose entre un auteur et un spectateur. Il s’agit bien à ce niveau d’un produit réel, qui suppose un support lié à une technique et qui caractérise toute situation de communication médiatisé.

L’expression “énoncé audiovisuel“ pourra être utilisée, à condition toutefois de ne pas limiter le sens d’“énoncé“ au seul propos développé mais d’inclure sous ce vocable l’ensemble des différents matériaux visuels et sonores qui le constitue.

Par ailleurs, et d’une façon générale, nous utiliserons le terme de “film“ pour désigner une production audiovisuelle (cinématographique, télévisuelle, vidéographique...) en tant qu’objet bien délimité, construit, fini, ayant fait l’objet d’un montage (direct ou indirect) et généralement produit dans un contexte collectif.

(1) La construction audiovisuelle emprunte cinq matériaux de base, deux visuels (image et écrit) et trois sonores (paroles, musiques, bruits). L’image pouvant être fixe ou animée. Pour le cinéma et d’une façon plus générale on peut dire pour l’audiovisuel, la présence d’images est définitoire. C’est-à-dire qu’il peut exister des films sans paroles, sans bruits, sans musique et sans écrit, mais pas sans image.

• Le pôle spectateur

Autres termes possibles : récepteur, téléspectateurs, public...

Face à l’image, le mot de “spectateur“ apparaît comme le plus approprié pour désigner ce troisième pôle, car dans sa définition il désigne tout autant la personne qui assiste à un spectacle que celle qui est le témoin oculaire d’un événement, d’une action, c’est-à-dire de quelque chose qui attire le regard.

Par spectateur nous entendons l’individu chargé de sa subjectivité, exerçant une activité de réception et protagoniste du phénomène de la communication.

Le terme de récepteur peut également être utilisé d’une façon générale, toutefois il peut parfois laisser croire à une attitude passive de réception d’un énoncé (comme on reçoit une lettre). Or nous savons que bien d’autres aspects que le strict énoncé entrent en jeu dans la communication. C’est d’ailleurs le pourquoi de cette triade et en particulier de la liaison auteur-spectateur. Il sera néanmoins judicieux de prendre en compte l’activité de réception et de considérer le spectateur comme un individu placé dans un contexte de réception.

Les trois pôles définis ci-dessus, constituent la base de l’échange en communication audiovisuelle. Ils sont concrets et facilement identifiables. Néanmoins à eux seuls ils ne nous permettent pas de poser toute la problématique mise en jeu. D’autres aspects sont déterminants. Ce sont tout d’abord les champs d’interférence que sont les techniques, les langages, les représentations. Ce sera ensuite le contexte qui entoure chacun de ces pôles.

Les champs d'interférence

Les trois principaux champs transversaux qui nous semblent interférer le plus profondément sur le processus de la communication audiovisuelle sont : la technique, les représentations individuelles et sociales, le langage. Evoquons chacun d'entre-eux succinctement.

La notion de champ doit être entendue au sens ou Bourdieu l'entendait. Par analogie avec un champ magnétique, c’est à dire un espace où des forces agissent à des degrés divers sur un objet et qui n’apparaissent pas en tant que telles mais qui sont révélées à travers les actions qu’elles exercent sur l’objet.
 
Une interférence désigne des actions ou des phénomènes qui viennent se mêler en se renforçant ou en se i>contrariant.
 
Cette double caractéristique rend ce terme particulièrement approprié pour souligner les effets contradictoires et dialectiques des phénomènes qui déterminent la communication. Trop souvent présentés comme un facteur facilitant la communication, la technique par exemple, peut tout autant la desservir.
Dans Penser la communication (Paris, 1997), Dominique Wolton retient trois dimensions pour qualifier la communication : technique, culturelle et sociale.
 
Ce sont là trois dimensions à la fois proches et différentes de celles que nous avons retenues. La dimension sociale de la communication sera bien évidement présente lorsque nous traiterons des contextes. Par ailleurs, il nous semble que, en matière de communication audiovisuelle, il est important de faire ressortir ce qui la distingue de la communication en général et de la communication verbale en particulier. Cette différence réside selon nous, d’une part en l’utilisation de langages autres que celui de la langue et d’autre part en l’importance de l’imagerie mentale dans tout travail sur l’image.

La technologie

A la différence de la communication interpersonnelle orale ou écrite, la communication audiovisuelle suppose toujours l’existence conjointe d’objets techniques, de procédés, de processus, de circuits, de finances... Au delà de la technologie proprement dite, nous rangeons sous ce terme ce qui appartient à la production, et d’une façon plus générale encore nous pouvons définir ce champ comme étant celui où entrent en jeu les aspects technico-économiques.

La caractéristique commune à l’ensemble des techniques de représentation de l’image est d’avoir été, pour chacune d’entre-elles, doublement investie : dans le champ de l’expression et de la création artistique d’une part et dans le champ économique d’autre part. Ce conflit dialectique entre des attentes communicationnelles et expressives d’un côté, consuméristes et de recherche de profit de l’autre est au cœur de toute l’évolution des technologies de l’image et d’une façon plus générale encore de celle des industries culturelles.

L’invention de la photographie a été officiellement annoncée sous la forme d’un daguerréotype, le 19 août 1839 à Paris, devant l’Académie des Sciences et l’Académie des Beaux Arts solennellement réunies.
 
Mais la plus ancienne photographie connue fut réalisée (sans doute en 1826) par Nicéphore Niépce.
 
En fait, le procédé mis au point par Louis Daguerre est né de la rencontre qu’il fit avec Nicéphore Niépce en 1827. Niépce était physicien-chimiste et Daguerre était peintre. La photographie dès sa naissance affirma donc sa double originalité en tant que procédé technique et procédé artistique.
La photographie ne prit son essor véritable qu’après l’invention du négatif (calotype) par l’anglais Talbot en 1841.
 
Alors que les inventions précédentes limitaient l’objet photographique à un seul exemplaire, le négatif allait permettre la reproduction multiple et répondait ainsi aux attentes du système capitaliste en plein développement qui étendait son industrialisation de la production aux biens de consommation jusqu’alors produits dans un cadre artisanal.
 
La carte postale représente sans doute le premier produit type d’objet culturel visuel industrialisé.

• Le langage

Il ne peut y avoir processus de communication audiovisuelle sans l'existence de règles d'écriture et de lecture, que celles-ci soient implicites ou explicites, qu’elles aient été forgées par l’apprentissage ou par l’accumulation de pratiques de lecture...

Ce champ du langage doit être compris au sens le plus large possible, c’est-à-dire que nous entendons sous ce terme aussi bien le contenu que l’expression, l’aspect sémantique tout autant que les formes esthétiques. C’est le champ couvert par la sémiologie et les sciences de l’art et de la représentation.

Notons que, à l’apparition de chaque nouvelle technique, c’est en empruntant aux formes langagières antérieures qu’un langage spécifique apparaît pour ensuite évoluer en intégrant les caractéristiques liées à la technique concernée. Toutefois cette évolution n’est pas uniforme, ni linéaire et encore moins automatique.

D’une façon générale, nous pouvons dire que l’évolution des formes langagières se situe dans une dialectique reproduction/détachement par rapport aux formes antérieures.

• Les représentations

La communication en général et la communication audiovisuelle en particulier, se fondent sur des représentations mentales que celles-ci soient individuelles ou sociales (1) : représentations de la réalité, de l’imaginaire social...

Le domaine des représentations est le lieu où s’exercent consciemment ou inconsciemment de l’idéologie, des concepts, des idées... C’est d’une façon générale tout ce qui pourrait être couvert par le champ de la psychosociologie.

Si nous avons choisi de traiter des représentations dans un distinctement du contexte socio-culturel (que nous évoquerons ci-après), c’est parce qu’il nous semble que le fonctionnement même de l’image et la place que l’analogie occupe dans la réception des messages visuels ont de profonds rapports avec les images mentales que sont les représentations.

Les représentations individuelles

Elles sont construites à partir des activités cognitives propres à chaque individu et dans lesquelles interviennent : le savoir (connaissance formelle), la culture (connaissance informelle), l’expérience psychologique et affective...

Les représentations sociales

Concernant l’image en particulier, différents degrés de prégnance peuvent être repérés dans les représentations sociales. Des plus enfouies aux plus éphémères on peut trouver :

- Les mythographies (2)
- Les stéréotypes
- Les modes
- les représentations liées à l'actualité proche, à "l'air du temps"

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(1) Une représentation mentale est une entité de nature cognitive reflétant, dans le système mental d’un individu, une fraction de l’univers extérieur à ce système.
Une représentation sociale est une vision de la réalité commune à un ensemble social (groupe, classe...) ou culturel donné. D’après le Grand dictionnaire de la psychologie, Paris, Larousse, 1991.

(2) Mythographies au sens où Frédéric Lambert les entend. C’est-à-dire comme des éléments qui trouvent leurs origines au plus profond de l’histoire des représentations.
LAMBERT Frédéric, Mythographies, La photo de presse et ses légendes, Paris, Edilig, 1986.

Les contextes

Pris isolément chacun des trois pôles de la communication n’aurait guère de sens s’il n’était pas situé dans un contexte. Par contexte nous entendons l’ensemble des phénomènes, valeurs et circonstances matérielles qui entourent la communication.

Faut-il parler alors d’un ou de plusieurs contextes ? Une des caractéristiques de la communication médiatisée est de pouvoir dissocier le temps de l’énonciation de celui de la réception. Il nous semble donc plus judicieux d’évoquer plusieurs contextes (la singularité pouvant être réservée à des situations particulières). Le contexte doit donc être apprécié pour chacune des relations pôle à pôle.

La prise en compte du (des) contexte (s) est ce qui invalide principalement le modèle linéaire du petit télégraphiste. En effet et contrairement aux machines informatives, même si celles-ci peuvent brasser de grandes quantités de données, la communication humaine n'est jamais isolée. Elle est insérée dans un univers de relations sociales et culturelles qui conditionne les fondements même de la communication.

Volontairement ou non, consciemment ou non, toute communication se trouve en interférence avec l'infinie complexité des données qui l'entourent et chaque communication constitue, à son tour, une donnée de cet environnement. En regard du contexte donc, chaque acte de communication peut se trouver amplifié ou réduit, déprécié ou sublimé, mis en avant ou occulté... et ceci d'autant plus fortement dans le cas de l'utilisation d'un média.


En photographie, par exemple, on voit bien que le raisonnement en terme d'émetteur, de récepteur, de bruit, de feed-back... est absurde. Il y a mille raisons de faire une photographie, il y a mille façons de la faire et il y a mille façons de la regarder. Selon les contextes de références la démarche d'analyse de la construction du sens sera conduite de manière différente. Voilà une évidence qui est souvent mise implicitement en pratique, mais que l'on oublie aussitôt lorsqu'on cherche à y apposer la formule de Laswell "qui ; dit quoi ; à qui ; comment ; avec quels effets".

Le célèbre préhistorien André Leroi-Gourhan raconte dans Les racines du monde (Paris, Belfond, 1982), comment il fut fortement marqué par les cours de Marcel Mauss, alors professeur à l'école des Hautes Etudes. "Son discours était tout en articulation et en élasticité. La plupart de ses phrases finissaient sur le vide, mais c'était un vide qui donnait à construire"; Il était impossible d'établir un contenu réel du cours. Chaque tentative de reconstruction, même entre plusieurs élèves, s'avérait toujours vaine tant les divergences sur ce que chacun avait perçu du cours étaient profondes. "Nous ne sommes jamais arrivés à construire quelque chose de cohérent, parce que c'était trop riche et cela se terminait toujours sur l'horizon." ... Mauss et ses discours emmêlés (l'anti-modèle du "bien communiquer" d'aujourd'hui) a pourtant suscité beaucoup de vocations parmi ses élèves. Citons les plus célèbres : André Leroi-Gourhan, Pierre Francastel, Claude Levi-Strauss, Michel Leiris,...

• Le contexte de production

C'est tout ce qui entoure et concerne la relation entre le pôle auteur et le pôle image.

Quelle est la posture de l'énonciateur (professionnel, amateur, quelle fonction il se donne : artiste, reporter, faciliteur de communication...) ; quel type de démarche (désintéressée, mercantile...) ; quel point de vue identitaire et idéologique (ou nom de quoi l'auteur agit) ; quelle visée communicationnelle (divertissement, savoir, culture, expression...) ; ...

Dans quel environnement socio-économique se passe la production ; quels moyens humains et financiers sont mobilisés ; ...

En quoi l'histoire du média concerné et des autres médias environnants interfère sur la construction de l'image...

• Le contexte de réception

C'est tout ce qui entoure et concerne la relation entre le pôle image et le pôle spectateur.

Quels modes de réception (individuel, collectif) ; quel lieux (spécifiques, priv&és...) ; quelles posture de réception (dilettante, appliquée, passionnée...) ; quelle forme (exposition, spectacle en salle, écran vidéo...) ; quels temps (direct, différé...) ; quelle durée ; quelle forme de captation du regard ; quel mode de fonctionnement (seul, en accompagnement...)...

Comment s'est faite l'information sur l'objet de communication (presse spécialisée, autopromotion, environnement professionnel ou scolaire, amis, cercle familial...) ...

En quoi l'histoire du média concerné et des autres médias environnants interfère sur la réception de l'image...

• Le contexte socio-culturel

C'est tout ce qui entoure et concerne la relation entre le pôle auteur et le pôle spectateur.

Auteur et spectateur partagent un certain nombre de données sociales et culturelles communes sans lesquelles la communication audiovisuelle ne pourrait exister. Lorsque nous regardons un film, par exemple, la connaissance que nous pouvons avoir de son auteur, de son parcours, de son œuvre..., n'est pas sans influencer notre réception du film. Certaines clés de lecture ne peuvent parfois fonctionner que grâce à ce savoir extra-textuel.

L'histoire enfin, peut être rangée dans ce contexte. Il n'existe pas de données immuables et de signification profonde hors de l'histoire. Trop souvent par le passé, notamment dans l'analyse sémiologique, cette dimension était absente.
L'importance que nous pouvons accorder à ce contexte est à la fois cause et conséquence de la liaison que nous avons établie entre auteur et spectateur. Rappelons une nouvelle fois la particularité de cette schématisation non-linéaire de la communication audiovisuelle qui signifie que toute la construction du sens ne passe pas obligatoirement par l'objet-image, mais emprunte de multiples chemins dont le contexte socio-culturel est un déterminant fort.

Citons aussi à ce propos les notions de contexte riche et contexte pauvre qu'a pu développer Edward T. Hall.

Schématisation

croquis schématisation

La schématisation proposée ci-dessus rassemble les différents éléments que nous venons d'évoquer. A partir de ce schéma de base nous allons maintenant pouvoir pointer certaines dérives que nous avons observées, nous proposerons ensuite deux variantes de représentation, l'une pour prendre en compte les personnages représentés, l'autre pour traiter de la communication audiovisuelle de masse.

Dérives

Comme nous l'évoquions au début, la schématisation proposée vise essentiellement à asseoir une problématique de la communication par l'image et l'audiovisuel. Cela veut dire que, lors de l'étude où de l'analyse d'un aspect quelconque de la communication, tout ou partie de l'ensemble des éléments exposés peut être pris en considération.

Il ne s'agit pas de rechercher à chaque instant tous les liens que tous ces éléments tissent entre eux. Il s'agit, au contraire, de faire des choix éclairés, de décider pour chaque situation de travail de ce qui est le plus déterminant ou opportun en prenant pleinement conscience des impasses que l'on est amené à effectuer et des aspects que l'on passe momentanément sous silence pour approfondir davantage tel ou tel autre. Tout au contraire donc du réductionnisme qui consiste lui à vouloir expliquer, à partir d'un aspect particulier, une relation complexe qui le dépasse.

La non-prise en compte de la multidimentionnalité de la communication audiovisuelle conduit parfois à des dérives dont nous voulons rappeler ici les principaux types.

• Centrée sur l'image  ->   la dérive immanentiste

Une des dérives les plus importantes est de considérer que l'image serait en elle-même porteuse de sens. Coupée de ses origines et de l'interprétation propre au récepteur, ce sont les seuls constituants de l'mage qui seraient en quelque sorte les dépositaires de la signification.

Ce caractère immanent de la construction du sens tient sans doute à une certaine interprétation de la sémiologie "pure et dure" qui a vu le jour à la fin des années 60.

Toutefois faire dire à l'image ce qu'elle ne dit pas est une dérive largement répandue en dehors même de toute posture sémiologique. (Rappelons-nous les images du "charnier de Timisoara").

• Centrée sur le spectateur  ->   la dérive fonctionnaliste

Prenant le contre-pied des approches sémiologiques, beaucoup de travaux de recherche se sont déplacés ces dernières décennies du côté de la réception, avec des dérives en tout point comparables, il nous semble, à celles qui étaient reprochées à la sémiologie.

Considérer le récepteur comme étant le lieu principal de la production du sens, c'est passer sous silence à la fois la notion de culture, d'œuvre et de création. Fortement inspirés des approches "fonctionnalistes", beaucoup de travaux sur la réception se limitent, selon nous, à une description de l'existant sans mettre à jour la question des contenus, des valeurs, des langages, des représentations, des idéologies...

L'empirisme du fonctionnement des grands médias audiovisuels aidant, ces travaux apparaissent en dernier ressort, comme l'outil idéologique du marché des industries de la communication.

• Centrée sur l'auteur  ->   la dérive créationniste

A un degré moindre, le centrement sur l'auteur est le type de dérive que l'on rencontre fréquemment par exermple lorsqu'il s'agit d'évoquer ou de traiter des fondements de l'acte de création.

Loin de toute approche de type sémiologique et rejetant plus encore toute notion d'attente d'un public, ce type de dérive fait de la seule "intériorité" de l'auteur, le lieu d'apparition du sens. L'expression n'est alors comprise ou analysée que relativement à d'autres œuvres du même auteur ou à d'autres créateurs. C'est ce que l'on peut appeler une dérive créationniste, une pensée en termes d'école, de maître et d'élèves, avec en arrière-fond une sorte de culte du don (inné) de la création.



Ainsi donc l'isolement d'un des pôles peut nous conduire aux trois type de dérives : dérive immanentiste, dérive fonctionnaliste et dérive créationniste.

Il est donc nécessaire, dans l'étude des phénomènes de communication audiovisuelle de reconsidérer les trois pôles de la communication comme étant un ensemble fonctionnant dans une intrication complexe et d'examiner chacune des liaisons entre les pôles sous l'angle d'une opposition dialectique (voir texte "Dialectiques de l'image").

Représentation à 4 pôles

Avec la prise en compte du ou des personnage(s) représenté(s)


Lorsque un ou plusieurs personnages sont représentés les relations entre auteur, image et spectateur doivent prendre en compte ce qui peut constituer ainsi un quatrième pôle dans notre schématisation. La représentation de personnage pose en effet des questions complexes liées à l'éthique, aux droits, aux usages et buts poursuivis.

Pour les besoins d'un travail analytique il est alors possible de décliner cette représentation en 4 triades de bases et 6 relations duales.
Les appellations de chacun des quatre pôles doivent elles aussi être adaptées aux situations étudiées. Il ne s'agit pas d'avoir une attitude figée sur les termes utilisés, comme c'est bien souvent le cas dans les approches de ce type, mais de représenter, c'est-à-dire de créer un outil qui aide à l''interprétation et à l'analyse.

• La triade : auteur, image, spectateur

On retrouve ici la triade de base. Elle nous semble fondamentale dans la mesure où elle affiche la relation particulière qui s'établit entre deux individus par le biais d'un objet support de la communication.

• La triade : auteur, personnage représenté, spectateur

On a ici une schématisation des rapports sociaux qui relient tous les protagonistes d'une relation par image interposée et dans laquelle se croisent, s'opposent ou se superposent les regards des uns sur les autres.

Quels liens de proximité ou de distance existe-t'il entre auteur et personnage représenté, entre auteur et spectateur et entre spectateur et personnage représenté ? Et est-ce que l'image témoigne ou masque la nature de ces liens ?

Répondre à ces questions permet par exemple de différencier le reportage dans lequel la proximité auteur/spectateur est dominante, du documentaire d'auteur dans lequel la relation particulière entre auteur et personnage représenté est le fondement d'un regard spécifique proposé comme tel à un spectateur.

• La triade : auteur, personnage représenté, image

Par le biais de cette triade on pourra, par exemple, s'interroger sur la part propre au filmeur et au filmé (ou au photographe et au photographié) dans la construction de la représentation imagée du ou des personnages.

L'écart peut être immense entre une prise de vue faites à l'insu des personnages comme on peut en trouver dans des actualités télévisées et une prise de vue qui vient après des semaines voire des mois d'une relation construite dans cette intention comme c'est bien souvent le cas dans le cinéma documentaire.

• La triade : image, personnage représenté, spectateur

A la prise de vue, les personnages représentés adoptent une posture plus ou moins en rapport avec la réception supposée et/ou connue de leur image. Etre photographié par un proche à des fins personnelles ou être filmé dans la rue pour un reportage télévisé ou encore être comédien dans un film de fiction, ce sont là des rapports différents qui se construisent entre personnges représentés et spectateurs.

Du côté de la réception se jouent alors des effets de miroir et/ou de distanciation. L'image construit cette dialectique dans laquelle le spectateur peut s'identifier ou au contraire se démarquer des personnages représentés.

Des questions déontologiques se posent dès lors que les usages effectifs d'une image sont différents de ceux supposés à la prise de vue (photos intimes sur internet par exemple).

Représentation à 4 pôles

...de la communication audiovisuelle appliquée aux médias de masse

Dans la continuité logique de la triade de base, nous proposons d'inclure ici un pôle supplémentaire lorsqu'il sera nécessaire, pour les besoins de l'analyse par exemple, de distinguer l'auteur de ce que Pierre Schaeffer* appelle le médiateur et que dans notre logique nous préférons appeler "instance de médiation".

Cette dernière appellation nous permet en effet de mieux traduire la complexité de ce pôle, alors que le terme de médiateur renvoie trop à un individu positionné entre les deux autres pôles. Or il nous semble que chacun des pôles peut être considéré comme se situant entre les deux autres.
* SCHAEFFER Pierre, Pouvoir et communication, 1972

Comme dans la schématisation précédente à 4 pôles, il est alors possible de décliner cette dernière en 4 triades de bases et 6 relations duales.
Rappelons une nouvelle fois que la dénomination de chacun des quatre pôles est une simplification pour les besoins de la schématisation, et qu'elle peut être modifiée selon les usages auxquels cette schématisation est destinée.

• La triade : auteur, image, spectateur

Comme précédemment, c'est le fondement même de la communication audiovisuelle qui est ainsi représenté. Pour davantage d'approfondissement sur ce point on se rapportera aux explicitations présentées plus haut.

• La triade : auteur, instance de médiation, spectateur

Cette triade présente une certaine pertinence lorsqu'il s'agira, par exemple, de travailler sur les grands médias, indépendamment du type ou du contenu du produit proposé.

Elle permet de faire ressortir la dimension économique et sociale de la communication médiatisée.

• La triade : image, instance de médiation, spectateur

Cette représentation pourra trouver son utilité sur des questions d'audience, de sondage, d'offre de produits ou de programmation des chaînes télévisuelles.

C'est la relation produit, producteur, "clients" qui est mis en avant dans cette optique. Nous sommes, avec cette triade, plus particulièrement dans la problématique de la réception.

• La triade : auteur, instance de médiation, image

Cette triade pourra s'appliquer à tout ce qui a trait au processus de réalisation considéré dans la triple relation qui s'établit entre producteur, auteur et œuvre. Qu'il s'agisse de film, de reportage télévisé ou d'émission de variétés, cette quatrième figure, permet de situer les liaisons existantes au niveau de la production entre les aspects technique, esthétique et économique.

Conclusion

On peut bien évidement combiner ces deux dernières schématisations pour construire un pentaèdre faisant apparaître 7 triades de base et 9 relations duales.

Rappelons que les schématisations proposées ici sont des outils d'aide à l'analyse ou à la construction d'une situation de communication médiatisée. Ces outils doivent être eux mêmes redéfinis, réinterprétés, complétés, transformés... pour répondre à des besoins propres à une situation et des finalités particulières. Ce travail méthodologique constituant en soi la base même d'une posture analytique et critique sur la communication fort éloignée de la reproduction réductrice du modèle linéaire du "petit télégraphiste".










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