MITCHELL W. J. Thomas, Iconologie - Image, texte, idéologie, Traduit par Maxime Boidy et Stéphane Roth, Les Prairies Ordinaires, 2009.

Présentation par Alexis ROUME  

Si Iconologie traite de l’image, le lecteur n’y trouvera ni théorie générale sur la nature des images ni même le moindre tableau ou dessin illustratif. William J. Thomas Mitchell – professeur de littérature et d’histoire de l’art à l’université de Chicago – traite de la notion même d’image et invite le lecteur à se détacher de l’image comme réel positif dont notre œil serait le garant pour assister à "cet autre spectacle de l’image" : sa création, son fonctionnement, son pouvoir…

L’ambition de Mitchell n’est pas des moindres. Avec Iconologie – publié en 1986 et traduit pour la première fois en français – il cherche à fonder une "science des images". Son constat est le suivant : il n’existe pas d'iconologie à la mesure de ce qu'est la linguistique pour les mots, il n’existe aucune science des images d'une portée comparable et pourtant l'image imprègne, aujourd'hui plus que jamais, notre quotidien. Dans le même temps, il désamorce le spectaculaire de son projet en prévenant d’emblée que "l’étude générale des représentations" est une discipline qui "n’existe pas et qui n’existera jamais." Il s’explique : "si son unique apport était celui d’un exercice dédisciplinarisant rendant plus ardue la ségrégation entre les disciplines, son objectif serait atteint."  Plus de vingt après la première édition d'Iconologie, Mitchell considère que c’est chose faite : "l'étude interdisciplinaire des médias verbaux et visuels en est venue à former une composante centrale des humanités." Cette science des images repose sur quatre piliers fondamentaux, à savoir : le Pictural Turn qui désigne la généralisation contemporaine de médias purement visuels  ; la distinction Image/Picture qui caractérise la différence entre l’objet matériel qui peut être accroché sur un mur, et l’image qui relève d'une entité hautement abstraite ; la notion de Metapicture, c’est à dire chaque fois qu'une image exhibe une autre image  ; et la notion de Biopicture qui désigne le processus biologique du clonage .

William J. Thomas Mitchell aime jouer. Il additionne les études critiques d’auteurs majeurs, retrace les querelles d’experts, restitue avec rigueur les théories générales sur la nature des images pour finalement subvertir toutes ces frontières austères au profit de "l’indisciplinarité» de l’image. Auteur indiscipliné, il hésite un instant à faire appel à Platon pour saisir ce que serait l’idée d’une image, mais il l’évacue rapidement et opte pour "une manière moins prudente d'aborder ce problème" qui va être de céder à la tentation d'une assimilation des idées aux images sans plus se soucier du problème de la récursivité de la pensée pour s’intéresser justement à "la manière dont nous dépeignons l’acte de peindre, dont nous imaginons l’acte d’imaginer ou dont nous nous figurons l’acte de figurer." 

L’image omniprésente
Dans Imagination, en 1962, Jean-Paul Sartre écrivait : "Autre chose est d'appréhender immédiatement une image comme image, autre chose est de former des pensées sur la nature des images en général." Former des pensées sur la nature des images, c’est précisément ce que W.J.T. Mitchell va s’efforcer de faire dans un premier temps. Iconologie est impressionnant de par l’ampleur conférée à la notion d’image qui y est définie comme un véritable langage, comme un ensemble de signes qui – par nature – ne sont pas transparents mais dissimulent au contraire "un mécanisme de représentation opaque, déformant et arbitraire, un processus de mystification idéologique."  Pour rendre les choses plus claires, Mitchell classe les images en cinq sous-catégories, à savoir : l’image graphique (peinture, sculpture…), l’image optique (miroirs, projections…), l’image perceptuelle (données sensorielles, apparences…), l’image mentale (rêves, souvenirs, idées…) et enfin, l’image verbale (métaphores, descriptions…). De manière générale, le but constant de l’auteur dans cette première partie va être de restreindre l’écart entre ces différentes catégories d’image en montrant que les images graphiques brutes ne sont pas plus stables que les images perceptuelles, mentales ou verbales mais sont le résultat "d'une interprétation d'ordre multi sensorielle." Par exemple, que penser d’un pétroglyphe indien du nord ouest américain représentant un aigle ? Est-ce la signature d'un guerrier ? L’emblème d’une tribu ? Un symbole de courage ? Ou simplement l’image d'un aigle ? Ici, Mitchell ne pose pas seulement la question de savoir ce qu'est une image mais élargit à la question suivante "Comment transforme-t-on les images et l'imagination qui les produit en pouvoirs dignes de croyance et de respect ?"((p.73) De même qu’il s’est efforcé de démystifier l’immédiateté de l’image graphique en montrant qu’elle résultait d’une approche multifactorielle, l’auteur fait appel à Wittgenstein, le "plus redoutable des penseurs de l'imagerie mentale de notre temps" pour démystifier l'image mentale qui ne doit pas seulement être pensée comme une entité immatérielle. Dans cette première partie, Mitchell ne délivre donc pas de théorie générale sur ce que sont les images mais montre la formidable étendue de l’idée d’imagerie en insistant sur la réciprocité et l’interdépendance des images mentales et physiques.


L'auteur

W.J.T. MITCHELL est professeur de littérature et d'histoire de l'art à l'université de Chicago. Auteur de nombreux ouvrages au succès international, il dirige également la célèbre revue américaine Critical Inquiry. Iconologie est son premier livre traduit en français.


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