Image et pédagogie

Visées éducatives

Qu'entend-t-on par éducation aux médias ?

La définition la plus précise que nous avons trouvée est celle proposée par Cary Balzagette, Evelyne Bevort, Josiane Savino (in : L'éducation aux médias dans le monde, Clemi Unesco, 1992) :

"Une éducation aux médias est une pratique et un processus éducatifs destinés à permettre aux membres d"une collectivité de participer de façon créative et critique (au niveau de la production, de la distribution, et de la présentation) à l'utilisation des médias technologiques et traditionnels, afin de développer et libérer les individus et la collectivité et de démocratiser la communication."

Selon les filiations théoriques de référence, les visées éducatives spécifiques peuvent se décliner de la manière suivante :

Visée éducative Filiations théoriques
Se prémunir des dangers du média

Impliquant un spectateur passif, soumis aux manipulations médiatiques. L'éducation aux médias à une fonction thérapeutique.

Education qui s'adresse à : un spectateur abusé
Modèles des
"Effets directs"


Behaviorisme,
psychologie des foules...
Echapper au pouvoir manipulateur des médias

Impliquant un spectateur abusé à un second degré par les effets des médias. L'éducation aux médias à une fonction préventive.

Education qui s'adresse à : un spectateur en danger
Modèles des
"Effets indirects"


"Agenda social" ; "Leaders d'opinion", Macluhanisme...
Justifier ses goûts et ses préférences

Impliquant un spectateur actif, soumis effets limités des médias.
Médias allant dans le sens des opinions et des valeurs des individus.

Education qui s'adresse à : un client consommateur
Le fonctionnalisme

Cybernétique, empirisme,
fonctionnalisme classique,
fonct. des "Usages et gratifications"...
Œuvrer pour des médias au service de la démocratie

Amener le spectateur à prendre conscience de l'aliénation culturelle, de l'idéologie que véhiculent les médias, du pouvoir de l'économie et des industries culturelles.

Education qui s'adresse à : un citoyen actif
Ecoles critiques

Ecole de Francfort, industries culturelles, cultural studies,
économie politique...
Comprendre comment les médias signifient

Amener le spectateur à découvrir et s'approprier les formes langagières et esthétiques pour décrypter la construction des messages.

Education qui s'adresse à : un acteur culturel
Sciences du langage
et de l'art


Linguistique, sémiologie,
esthétique...
Situer socialement le sujet récepteur

Mettre à jour les systèmes d'interactions symboliques dans lesquels tout sujet actif se situe

Education qui s'adresse à : un être psychologique
Psychologie ; Sociologies de la réception

Ecole de Palo-Alto, l'Agir communicationnel, éthnométhodologie, micro-sociolo., interactionisme...

Nous considérons que ces différentes visées ne sont pas exclusives l'une à l'autre et peuvent se superposer, à l'image des strates géologiques, dans telle ou telle démarche de formation.

Le plus important, il nous semble, est de s'interroger, pour chaque action entreprise, sur les visées éducatives sous-jacentes qui trop souvent restent non-explicites.

Objectifs généraux

d'une éducation à l'image et aux médias audiovisuels


• Comprendre comment l’image et les médias audiovisuels signifient, en mettant à jour les langages, les formes expressives, les procédés, les structures et circuits, etc. qui sont à l’œuvre dans toute construction imagée.

• Formation du spectateur et du téléspectateur par le développement de la sensibilité artistique, de l'esprit critique et par l'acquisition d'outils d'analyse appropriés.

• Contribution au développement de la dimension créative de chacun par la construction d'une propre expression sensible par l'image.

• Acquisition d'une culture photographique, cinématographique et audiovisuelle spécifique et capacité de mettre en œuvre cette culture en relation avec l'ensemble des autres activités.

• Connaissance des grands médias audiovisuels. Sensibilisation à leurs dimensions sociologiques, culturelles, économiques, historiques, idéologiques...

Typologie des pratiques pédagogiques

Afin de repérer les différentes actions pédagogiques qui ont l'image, la vidéo, le cinéma... pour objet, nous proposons d'établir une première distinction entre pratiques discursives et pratiques culturelles.

• Par pratiques discursives, nous entendons les actions qui visent à fournir et construire les outils pratiques, théoriques, méthodologiques... nécessaires pour appréhender les processus de construction et de fonctionnement des langages. Education fondée sur le raisonnement, l'analyse, les apports théoriques...

• Par pratiques culturelles, nous entendons les actions qui se développent, non pas sur les processus ou les outils, mais sur ou autour de l'œuvre en tant que telle. Education fondée sur une approche globale et sensible de l'art.

Bien entendu, ces deux types de pratique peuvent se combiner dans une même activité éducative.

Une seconde distinction peut être établie selon que l'on se situe en spectateur ou en auteur, autrement dit en différenciant une posture de réception et une posture de réalisation.

Si nous croisons les deux types d'action avec les deux types de posture, nous obtenons les quatre familles de pratiques suivantes :

  Pratiques discursives

centrées sur les langages
et les techniques
Pratiques culturelles

centrées sur l'œuvre
 
Spectateur

(Posture de réception)


Sensibilisation et éducation
aux formes langagières
Approches stylistiques, esthétiques...
Analyses de contenu
Connaissance des institutions et industries culturelles en amont de l'image, et en aval des pratiques de réception...

Activités de type ciné-club
Visite d'expositions, de musées...
Participation ou organisation de manifestions ayant pour objet la fréquentation des œuvres, des auteurs, des réalisateurs, des artistes...
Auteur

(Posture de réalisation)


Sensibilisation et formations aux outils techniques (photo, vidéo, multimédia...),
à la prise de vue,
aux processus de réalisation,
aux méthodes et démarches,
à l'écriture de scénario...

Réalisation de production ayant l'image comme forme expressive principale :
film vidéo, exposition de photo,
réalisation d'affiches, de plaquette,
de sites web...



Objectifs spécifiques

Casser la croyance en une vérité apportée par l'image.

L'image comme le mot n'a pas de vérité immanente. Elle n'est la preuve de rien. C'est le contexte, le support, son usage... qui peuvent en faire un témoignage sur le réel. (De même que ce n'est pas le mot ou la phrase qui peuvent mentir mais celui qui les professe.)

Dans cette optique, la notion d'images "manipulées" est à questionner car elle laisserait croire que les autres seraient "vraies" ou porteraient une vérité en elles-mêmes...

• Faire comprendre que l'image est toujours une représentation.

Ce n'est pas du réel qui est présenté mais du réel re-présenté. Voilà qui semble une évidence pour la peinture, le dessin... mais qui est oublié dès lors qu'on utilise des dispositifs techniques : appareil photo, caméra... (l'art du cinéma a aussi été justement de faire oublier la médiation.)

• Toujours rappeler que derrière chaque image il y a un auteur.

C'est à dire quelqu'un qui a décidé d'un regard, d'un point de vue, de choix d'un cadre, etc., même si cet auteur est multiple ou institutionnel (information télévisée par exemple).

Cela implique, par conséquence, de signer les images produites ou utilisées. On s'offusque de l'anonymat d'un texte, on suspecte une lettre anonyme, mais on recopie et diffuse des images sans nom ou sans citation de leurs sources.


Conseils et remarques

• Education à l'image, éducation aux médias, éducation au cinéma...

... ce n’est pas tout à fait la même chose. On a pris l’habitude de ranger sous l'expression d'”éducation à l'image" tout un ensemble de pratiques pédagogiques qui peuvent avoir des finalités éducatives fort différentes. Le CNC, le CLEMI, diverses associations d'éducation populaire, enseignants d'arts plastiques, de français, d'éducation socioculturelle, etc., ne poursuivent pas les mêmes objectifs, n'ont pas obligatoirement les mêmes démarches et ne mettent pas forcément en œuvre les mêmes pédagogies. Il convient donc d’utiliser l’expression “education à l’image” de manière générique sans perdre de vue les spécificités propres à chaque média.

• Contextualisisation et transversalité

L'éducation à l'image ne doit : ni s'enfermer dans des approches immanentistes (l'image considérée comme seule détentrice du sens), ni dans la vénération de l'œuvre (fruit d'un divin créateur), ni dans le fonctionnalisme (centrée sur la réception du spectateur-consommateur). L'éducation à l'image doit travailler dans la transversalité, la multiréférentialité, même si, à un moment donné, c'est telle ou telle dimension qui est privilégiée.

• Nécessité de préciser les mots, (ce que l'on entend par...)

Nous manipulons souvent des mots extrêmement polysémiques : médias, culture, communication, etc... out le monde ne met pas les mêmes significations derrière chacun de ceux-ci. A défaut de se mettre d'accord sur une définition commune, il convient de souligner et de faire prendre conscience de l'étendue des acceptions possibles.

• Nécessité de mettre à jour les représentations

Nous percevons les images avec tout ce que notre activité visuelle passée a construit dans notre mémoire et notre intelligence. Les représentations mentales individuelles et collectives sont des éléments déterminants de leur compréhension. Les individus d'un groupe social donné possèdent à la fois des représentations communes et des représentations spécifiques dont il faut tenir compte dans un travail d'interprétation.

• Toute démarche pédagogique suppose un parcours, un cheminement, une posture, une visée éducative... qui ne sont pas forcément comprises ou explicites pour d'autres : élèves, parents d'élèves, artistes, collègues, proviseur... Un travail en collaboration avec un artiste-intervenant, par exemple, fait apparaître parfois des oppositions fortes sur la finalité de la démarche. Autre exemple : la production d'un film vidéo, par une classe, répond bien souvent à de multiples objectifs fonctionnels qui font parfois oublier la démarche éducative. C'est ainsi que l'on retrouve des reproductions télévisuelles les plus banales, les images bourrées d'"effets de régie", les sons couverts par des musiques "cache-misère"... En bref la reproduction de la médiocrité sans aucune distance critique.

• Attention au réductionnisme

C'est à dire un aspect qui vaudrait pour le général. L'analyse d'une image, d'un film ou d'une séquence ne nous dit rien sur la totalité du film, même si elle a quelque chose à voir avec.

• Attention aux fausses passerelles méthodologiques...

Ce qui est conceptualisé ici n’est pas forcément valable là. Une méthode d'analyse élaborée pour une publicité par exemple n'a pas beaucoup d'utilité pour comprendre ou analyser une séquence de film de fiction ou des actualités télévisées. Pire même, la transposition mécaniste d'une grille, méthode ou démarche peut s'avérer catastrophique en embrouillant ce que l'on cherche précisément à démêler.

• Analyse et sentiments

Impliquer les élèves dans un travail d’analyse de l'image, ce n’est pas leur faire prendre le chemin de nos sentiments et ressentiments. Toute impression subjective doit être explicitée et ne doit pas être posée (imposée) en préalable. Pédagogiquement donc, il faut éviter d'établir ou d'apporter a priori des jugements de valeur, même si notre culture ou notre savoir nous y invitent fortement. Il est nécessaire, au préalable de montrer, démonter et démontrer... pour se permettre ensuite d'interpréter.

• De l'image en général à une technique en particulier...

Selon les techniques auxquelles on a affaire (photo, cinéma, TV, internet, image numérique etc.) il y a à la fois du semblable et du dissemblable, de la transversalité et de la singularité.

• L'analyse casse

Le travail d'analyse est une déconstruction. On démonte l'objet étudié pour en comprendre sa construction et son fonctionnement. Cette déconstruction peut s'avérer frustrante et pourra (devra ?) être compensée par des phases plus constructives.

• Formation collective et création

La création est un acte individuel par excellence. La création collective est donc difficile à gérer. Elle est bien souvent source de problèmes ou de conflits. Parfois un ou des individus prennent l'ascendant sur le groupe et imposent culturellement leurs choix, parfois encore un consensus s'établi, a minima, sur ce que chacun peut accepter de l'autre, produisant ainsi une œuvre des plus banales. Faire exprimer la créativité de chacun dans une œuvre collective demande beaucoup d'attention, d'échange, de pédagogie...

• La diffusion publique des créations d'élèves pose problème.

D'un côté elle est fortement motivante par l'objectif de reconnaissance qu'elle construit. D'un autre côté elle fait du public destinataire, l'évaluateur d'un travail de formation, sans que ce public dispose des attendus lui permettant d'apprécier le chemin éducatif parcouru.

• La technique ou le produit comme finalité

Double dérive souvent observée. Le fonctionnement et la mise en œuvre des outils accaparent du temps et des compétences multiples. La maîtrise des outils et des techniques devient parfois une fin en soi et le produit achevé le seul objectif poursuivi. Sans grande distance critique et/ou pédagogique, le risque alors est, en s'appuyant sur les seuls effets permis par la technique, de retrouver la reproduction des formes les plus superficielles, les expressions les plus convenues, voire les plus populistes.

• Nécessité de travailler sur les FORMES des représentations par l'image

Le débat et la critique sur les contenus traversent plus ou moins l'espace public, les groupes sociaux, les moments de la vie... Ils font partie du débat citoyen "ordinaire", appréhendable ici et là

L'étude et la critique des formes, en revanche, sont peu développés dans l'espace public.Et c'est bien à l'éducation à l'image qu'il revient de prendre en charge cette dimension, de mettre à jour les mécanismes et les formes de construction des représentations par l'image qui structurent les contenus. Pour reprendre les termes de Jean-Louis Comolli, il s'agit de "construire un spectateur digne de ce nom, capable non seulement de voir et d’entendre (ce qui déjà ne va pas de soi) mais de voir et d’entendre les limites du voir et de l’entendre."

”Face aux images"

C'est un fascicule co-écrit par Jean-Paul Achard, Martine Alibert, Carlos Pereira dans le cadre du Groupe d'Action pédagogique piloté par Joël Toreau de l'ENFA de Toulouse.

Il a pour objectif de re-situer les conditions générales d’une éducation à l’image dans le cadre de l'éducation socio-culturelle propre aux établissements d'enseignement agricole.

(Cliquer sur l'image pour accéder au diaporama)

Textes complémentaires

• "Dépasser la crise de confiance envers l’image" - INAGlobal - 2018
- Un ensemble de 6 articles qui concernent l'éducation aux images :
- 1) "Le diable est dans les écrans : vraiment ?" par Serge TISSERON
- 2) "Éduquer les jeunes aux images, un enjeu de citoyenneté" par Virginie SASSOON
- 3) "L’image, une interprétation subjective du passé" par Myriam TSIKOUNAS
- 4) "La banalisation des images d’archives dans les JT, un problème éthique" par J-S CARNEL
- 5) "Vérifier les images : un principe intangible pour l’AFP" par Isabelle DIDIER et P. RAYNAUD
- 6) "Danger de l’image, image en danger" par François SOULAGES
• FRAU-MEIGS Divina - L’éducation aux médias est-elle nécessaire ? A quelles conditions ? - INA - 2011
• JACQUINOT-DELAUNAY Geneviève - De l’éducation aux médias aux médiacultures : faire évoluer théories et pratiques - INA - 2011
• La résidence d'artistes en milieu scolaire et éducatif - Actes du colloque - septembre 2013 - pdf
• MERIEU Philippe - Éduquer aux médias, éduquer les médias : pour un sursaut citoyen ! - (pdf) 2008
• MONDZAIN Marie-José - La compréhension des images nécessite-t-elle une éducation ? - (pdf) 2003
• PEUCH Arnaud - Problématique d'une éducation à l'image - 18p. (pdf) 2001
• TISSERON Serge - Education aux images, pourquoi comment ? - (pdf) 2002
• TISSERON Serge - Images violentes, violence des images - 2003
• UNESCO - Kit d’éducation aux médias à l’intention des enseignants, élèves, parents et professionnels - (pdf) 2006
• Réseau éducation médias - site canadien
• VIDEO-INFO co-écrit par JP Achard, C Benoit-Gonin, F Guerre, M Lecuyer, D Picout, pour l'association APTE. (pdf)
C'est un livret pédagogique destiné à ceux qui utilisent la vidéo dans des démarches de formation à l'information. Il a pour objectif de situer les pratiques pédagogiques en présentant dialectiquement les problématiques rencontrées. Publié en 1994, ce fascicule nous semble avoir gardé aujourd'hui toute sa pertinence sur bien des aspects.

• Autres ressources sur la page spécifique de ce site "ressources/education"










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